mercredi 5 septembre 2018

Mon lecteur


Depuis plusieurs années, Thierry Caro m'envoie régulièrement des mails de critique de mes albums qui sortent. C'est mon lecteur à moi : je ne le connais pas vraiment (je ne l'ai rencontré, fortuitement, qu'une seule fois), mais j'adore ses lectures toujours très intelligentes, personnelles et créatives de mes bouquins (même si je ne suis pas toujours d'accord avec lui). C'est réfléchi, souvent très pertinent, drôle et ça nourrit toujours ma réflexion, et souvent mon écriture.
Pour les Chroniques du Léopard, sujet réunionnais donc proche de lui, je me demandais s'il allait m'envoyer quelque chose. Eh bien oui ! Merci encore Thierry Caro :

"Bonjour. J'ai lu les Chroniques du Léopard lors de leur sortie il y a quelques jours. Comme je crois que vous aviez aimé mon avis sur l'une de vos précédentes publications, je me permets de renouveler l'exercice à cette occasion, mais si vous le voulez bien de façon beaucoup plus succincte.

- D'abord - mais peut-être ai-je tort - je pense être le premier de vos critiques à relever que la structure de l'ouvrage reproduit celle des Marrons, de Houat. Le conciliabule nocturne qui ouvre le récit, parce qu'il est tenu par un groupe de jeunes hommes au pied d'un arbre et parce que les participants retournent volontairement dans l'institution qui les opprime à son terme, pose d'emblée que l'on peut lire la bande dessinée comme une variation de la nouvelle. Plus loin, évidemment, vos personnages se font littéralement marrons, comme chez l'ami Louis Timagène, et on retrouve encore, à peu près au même moment dans l'intrigue, la séquence de rêve qui chez votre prédécesseur est le fait du Câpre.

- Les Marrons est un texte écrit par son auteur alors qu'il est en exil, aussi ne me suis-je pas étonné de retrouver dans votre histoire des éléments qui témoignent de votre propre déracinement. Le passé du héros convoque votre Tunisie natale et donne lieu à des rêveries qui sont caractéristiques des protagonistes de presque toutes vos intrigues.

- Ici je trouve qu'une seconde influence littéraire majeure est celle de Madame Bovary, et pas seulement parce que les personnages sont tous atteints de cette forme de bovarysme qui est propre à votre conception du monde. Votre narrateur, pour incipit, aurait pu reprendre celui, fameux, de Flaubert : "Nous étions à l'étude, quand le Proviseur entra, suivi d'un nouveau habillé en bourgeois et d'un garçon de classe qui portait un grand pupitre." L'action se noue autour de l'arrivée tardive d'un camarade de classe et débouche, évidemment, sur le même "charivari" que celui que suscite Charles Bovary, terme que vous reprenez directement d'ailleurs.

- L'ensemble du livre prolonge le joyeux bordel du monde scolaire, même pendant que les héros sont en vacances. Les scènes qui se présentent alors au lecteur témoignent à cet instant de ce que je crois être une maîtrise supérieure du scénario de votre part car, ce qui est extrêmement difficile et vous avez déjà fait un peu trébuché, l'ennui que votre personnage connaît ne rejaillit pas sur la lecture. A titre personnel, sans que je m'explique bien pourquoi, le livre culmine d'ailleurs pendant les scènes au Brûlé.

- Je ne dis pas ceci parce que sont offerts au yeux du lecteur mâle de jolies pointes à explorer. Je trouve que vos personnages féminins, en effet, demeurent par ailleurs faibles et comme dispensables. Les jeunes filles que rencontrent vos héros sont un mauvais prétexte pour normaliser une histoire qui n'aurait pas dû l'être, s'agissant in fine d'un récit sur l'Occupation.

- Je trouve la fin d'ailleurs mal maîtrisée. L'idée d'expédier l'affaire du Léopard qui donne son titre à l'ouvrage par une double page cartographique surprend mais déçoit aussi l'espérance du lecteur, qui attendait l'action parce que le héros avait su la lui promettre.

- Je dirais donc que le dénouement affaiblit quelque peu un ouvrage qui est par ailleurs excellent par son décor, son dessin, son cadre spatio-temporel et ses personnages masculins. De ce point de vue, évidemment, il y a comme une divergence avec Houat, qui quant à lui hisse absolument sa nouvelle vers des sommets vertigineux avec sa fin prophétique, annonciatrice du métissage réunionnais.

- Merci pour tout. Vous êtes, quoi qu'il arrive, assez exceptionnel. L'Occupation, à La Réunion, vue par l'inoccupation. Il fallait y penser. Marronner."

1 commentaire:

  1. C’est une chronique succincte ? Mazette. Bon, ça spoile à mort, je vais m’abstenir.

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