Or, dans les rares travaux sur lesquels je tombe qui traitent de ce sujet, que ce soit un DEA d'Histoire, des sites spécialisés ou des publications pédagogiques, je retrouve, repris plus ou moins partiellement, mon travail. Comme si, finalement, personne n'avais jamais mené de vrai travail d'historien sur la piraterie à la Réunion depuis ce truc tout à fait amateur et maladroit (et peut-être même un peu chiant, convenons-en).
Quant à moi, c'est ce qui m'a poussé à écrire Île Bourbon 1730 (avec Trondheim, chez Delcourt) dont les notes de fin d'ouvrage reprennent en partie ce texte.
Quant à moi, c'est ce qui m'a poussé à écrire Île Bourbon 1730 (avec Trondheim, chez Delcourt) dont les notes de fin d'ouvrage reprennent en partie ce texte.
Je le recopie ici :
Les pirates dans l'Océan Indien
Dès l'âge d'or de la flibuste antillaise
(deuxième moitié du XVIIe siècle et début du XVIIIe siècle), des capitaines
pirates fameux écument l'Océan Indien : s'ils n'ont pas la promesse de l'or
espagnol comme leurs collègues des Amériques, ils convoitent d'autres richesses
au moins aussi alléchantes, comme les épices, les tissus, les esclaves des
marchands arabes de la mer Rouge et surtout les richesses mythiques des princes
indiens, notamment celles du grand Mogol.
Ainsi, à la fin du XVIIème siècle,
Madagascar, oubliée des nations européennes depuis le massacre de Fort Dauphin,
devient le repère de prédilection pour des bandes de pirates menées par des
capitaines dont les noms deviennent des légendes : le capitaine Avery aurait
fondé un royaume malgache et serait devenu plus riche que les rois européens
(1); les capitaines Misson, Caraccioli et Tew seraient les gouverneurs de
Libertalia (2), une république pirate utopique située dans la baie d'Antongil,
et dont l'histoire se serait terminé dans le sang. Dès lors, l'Océan Indien
apparaît, à l'époque même de la gloire des Antilles pirates, comme un paradis
pirate virtuel.
En 1700, Philippe V, petit fils de Louis
XIV, monte sur le trône d'Espagne. La France et l'Espagne désormais alliées, la
flibuste française de la Tortue et de Sainte Domingue n'est plus tolérée (3).
En 1717, George Ier d'Angleterre fait sa proclamation pour la réduction des
pirates, les derniers capitaines pirates réunis à l'île de Providence décident
de se séparer, soit pour accepter une éventuelle amnistie, soit pour fuir vers
des mers plus hospitalières car moins surveillées : l'Océan Indien est le
dernier refuge de ces forbans avant l'extinction de l'aventure de la piraterie
océane européenne.
Les grands capitaines pirates à l'île Bourbon
L'île Bourbon, unique colonie européenne
de la région depuis l'échec des Français à Madagascar, ne va pas rester absente
du phénomène pirate dans l'Océan Indien. La coupure avec la Métropole,
l'éloignement de l'Europe et des autres colonies (Mozambique ou Afrique du Sud)
en font une escale très intéressante pour les forbans qui peuvent ainsi se
réapprovisionner en vivres ou en eau douce, y laisser des pirates ou engager
des hommes et surtout dépenser l'or et les richesses du butin.
La plus ancienne relation d'un
passage de flibustier dans l'île date de 1687. Après la pendaison de La Buse,
en 1730, la piraterie européenne dans l'océan Indien comme dans le reste du
monde n'existera plus, du moins sous la forme singulière qu'elle avait revêtue
jusqu'ici : la Flibuste. Mais entre ces deux dates, nombre de navires pirates
font escale dans l'île, et cette dernière est même le théâtre de hauts faits de
l'histoire des forbans.
En novembre 1695, un navire forban fait
escale à Bourbon et y débarque "70 flibustiers cousus d'or et d'argent"
(4). Il s'agit sans doute du célèbre Avery (5) qui ne pouvait s'arrêter à
Madagascar car il y avait déjà abandonné des compagnons pour éviter d'avoir à
partager le butin en trop de parts. Certains des pirates laissés à Bourbon par
Avery décidèrent de s'installer dans l'île, d'autres de partir. Ils
entreprirent la construction d'une barque, mais, le 2 juillet 1696, l'escadre
de Serquigny la détruisit et emmena une vingtaine d'entre eux comme prisonniers
en France.
On pense que vers 1710, le moine
dominicain et secrétaire d'Etat unijambiste de la République de Libertalia,
Caraccioli, aurait fait escale à Bourbon pour y engager des citoyens pirates.
C'est ce que laisse supposer le texte de Johnson.
John Bowen (6) -ou Jean Bouin pour les
textes des archives- célèbre pirate des Antilles dont parle Johnson, fait
plusieurs escales à Bourbon et s'y installe même définitivement, après une
campagne avec un autre pirate renommé, Nathaniel North, en avril 1704. Il y
meurt de la malaria quelques mois plus tard, mais le lieu de sa sépulture reste
inconnu.
Thomas White fait plusieurs escales dans
l'île, y laisse quelques forbans, et d'après Robert Drury (7) meurt lors d'une
relâche à Saint-Paul en 1719.
Pour finir cette liste des grands
capitaines pirates ayant passé par Bourbon, il faut ajouter les célèbres
England, Davis, Taylor et La Buse qui font tous escale dans l'île. Les quatre
hommes font des campagnes ensemble puis se séparent - England est abandonné à
Maurice- et les capitaines Taylor et Olivier Levasseur dit "La Buse",
tous deux anciens de la réunion de Providence continuent leur expédition.
Le 20 avril 1721, jour de Quasimodo, en rade de Saint-Denis, devant la population et le gouverneur venus assister au spectacle, ils prennent la "Virgen del Cabo", navire de 800 tonneaux, où se trouve le comte d'Ericeira, vice-roi des Indes Orientales Portugaises.
Cela restera la plus grosse prise faite par des forbans dans l'histoire de la Piraterie. Quelques jours plus tard, c'est au tour du "Ville d'Ostende" de subir le même sort en baie de Saint-Paul. La Buse se fâchera avec Taylor et lui faussera compagnie peu après, emportant avec lui l'immense butin de ces deux prises...
Moins d'une dizaine d'années après, il sera pendu à Saint-Paul, événement qui met ainsi fin à l'aventure pirate dans l'Océan Indien. Ce procès, dont une partie des minutes est conservée aux archives départementales de la Réunion, reste encore très mystérieux, et l'on s'étonne que le forban n'ait pu connaître un sort aussi clément que celui de ses compagnons d'arme, largement intégrés dans la société bourbonnaise naissante.
La société bourbonnaise à l'épreuve du fait forban
Tous ces équipages qui passent, ou
restent pour des durées plus ou moins longues à Bourbon, reçoivent bon accueil
dans l'île. Le Mémorial de la Réunion explique ainsi ce fait : "Officiellement,
ces personnages sont indésirables, et bons pour la corde. Mais comment
appliquer la loi, quand on a pour tout armement quelques fusils, des canons
tout juste bons pour saluer les visiteurs, et pour toute armée des habitants
rarement volontaires pour la bataille ?"
En fait, lorsqu'un forban arrive en vue
de la Réunion, les habitants sont plutôt contents, car ils vont pouvoir, enfin,
faire du commerce, en vendant très cher des vivres à des marins généralement
particulièrement riches et peu avares. Du reste la politique officielle est
plutôt de se les concilier que de les avoir pour ennemis : bientôt des
ordonnances réglementent les amnisties et l'accueil des forbans.
Ainsi, quand le capitaine pirate Congdom
qui, après la prise miraculeuse d'un vaisseau arabe qui lui rapporte 1,3
millions de roupies, décide de prendre sa retraite, il bénéficie, ainsi que son
équipage de 135 hommes, d'une amnistie très favorable : il leur suffit de
"remettre au préalable leurs armes et munitions de guerre, de renoncer
pour toujours à leur désordre, de garder fidélité au Roy de France dont ils se
reconnaissent les sujets". Moyennant cela, cite le Mémorial, ils
pourront se retirer "sous le gouvernement de Bourbon où ils jouiront
des mêmes avantages, droits et prérogatives des habitants de cette isle sans
distinction".
Cet exemple est révélateur de
l'intégration réussie des forbans dans l'île. Il faut dire que ce sont bien
souvent eux qui introduisent du numéraire à Bourbon, soit en s'installant
fortune faite, soit en achetant des vivres ou des armes aux habitants. Comment
s'étonner de la grande variété de monnaies utilisées dans l'île (8), quand on
sait que chaque mort de flibustier est l'occasion d'une découverte d'un magot :
l'"Inventaire de ce quy c'est trouvé appartenir à Jean Bouin "
révèle "En or : mil cinq cens Ecus, en 750 sequins mores et arabes, sur
le pied de deux Ecus chacun", ou encore, on découvre, à la mort de
Pierre Nappe, autre flibustier installé, "cent quatre vingt cinq
sequins mores et arabes ; en or et argent cassé, la valeur de 40 sequins ; en
poudre d'or sableuse, la pesanteur de mille sequins ; en argent, cent piastres
d'Espagne" mais les 2200 sequins vénitiens cousus dans sa ceinture ne
furent jamais retrouvés, et Pierre Noël, compagnon de flibuste du mort, fut
soupçonné et surveillé jusqu'à sa mort 25 ans plus tard.
Tout cet or circulant dans l'île crée une
économie artificielle où les prix deviennent extravagants. Le gouverneur
Boucher résume ainsi la situation :"La vérité est que la plupart des
habitants ont si fort pris la coutume de vendre à outrance aux forbans, qu'ils
n'en démordent pas pour quelque considération que ce soit, et les Gouverneurs
ny autres, qui ont quelque rang dans ce lieu, ne sont pas exempts de cette
petite tyrannie".
Les forbans trouvent donc tout
naturellement en Bourbon, le lieu de retraite idéale. Des ordonnances
définissent même leurs séjours temporaires. Chaque forban devra donner 15
piastres pour son logement et sa nourriture ; s'il a un noir, il devra donner 5
écus de plus. Le Mémorial cite l'ordonnance :"L'habitant qui loge un ou
plusieurs forbans leur fournira à chacun un lit convenable garni au moins d'un
bon matelas, d'un oreiller avec sa souille et d'une couverture ; ces lits
doivent être dans une caze ou de bois ou de feuilles construite de manière
qu'elle soit pour le moins distinguée de ce qui se nomme hangard ou ajoupa et
que les injures du temps ne le puissent pénétrer".
La société bourbonnaise intègre d'autant
plus facilement les forbans que depuis l'origine même du peuplement, ceux-ci
font partie de la population des colons. Le recensement de 1711 indique que le
quart des chefs de famille est constitué de forbans amnistiés. Il est sans
doute difficile de mesurer l'impact exact de cet apport sur la population
entière de l'île, mais Bibique a tenté de traduire la proportion de familles
"pirates" sur la population blanche de Bourbon :"Des 31
flibustiers (9) installés à Bourbon naissent 196 enfants, les familles
de ces derniers comptent donc 258 personnes, alors que, selon André Scherer la
Population blanche de l'île est de 538 âmes en 1713. A cette date, seuls trois
flibustiers ne sont pas encore établis à Bourbon (...) Et si on suit la
descendance des filles des enfants mâles de ces "forbans amnistiés"
(...) on découvrirait (...) que plus des trois quarts des éléments de la race
blanche (sic) à la Réunion portent en eux des gènes piratesques."
Pour autant, l'histoire de la relation
entre Bourbon et la Piraterie ne finit pas bien : le 7 juillet 1730, La Buse
-dernier des capitaines pirates de l'époque héroïque- après s'être fait piéger
par une promesse d'amnistie, est condamné par le Conseil de Bourbon à être
pendu à Saint-Paul. Le procès reste mystérieux, dans la mesure où ne reste aux
archives que l'acte de condamnation sans ses minutes. "Pourquoi, s'interroge
le Mémorial, a-t-on exécuté -et si hâtivement- La Buse, alors que nombre
d'autres pirates avaient été graciés ? Il ne s'agissait pas de faire un
exemple, puisque la piraterie avait cessé depuis longtemps dans la région. Il y
a sans doute là quelque mystère..."
Avec la mort de La Buse, se termine non
seulement l'histoire des forbans à l'île Bourbon, mais aussi un siècle de
l'histoire de la "société d'exception" (10) qu'est la Piraterie
européenne. Mais sans doute est-ce là aussi le début d'un des mythes fondateurs
de la Réunion : le passé pirate hantera les corsaires de la République comme
les chasseurs de trésors du XVIIIe à nos jours.
Les corsaires
La course à la Réunion, pendant la
Révolution et l'Empire, a eu beaucoup de succès, même si aujourd'hui, elle est
un peu occultée par des figures métropolitaines comme Surcouf. Bouvet fut
contre-amiral et participa à la seule victoire maritime du Premier Empire, la
bataille du Vieux Grand Port. Joseph Collet fut lui aussi contre-amiral. Les
habitants de l'île n'hésitèrent pas à armer un navire de course pour le
corsaire Ripaud de Montaudevert en 1793. Tous les équipages des navires se
composaient en partie d'insulaires, et l'on trouvera peut-être là comme l'écho
de l'aventure maritime des pirates alors à peine vieille d'un demi-siècle.
Notes :
1 : Pure légende en vérité, selon C. Johnson, mais qui
marqua fortement l'imaginaire des contemporains britanniques d'Avery. On trouve
ainsi de nombreuses pièces de l'époque racontant l'histoire "vraie"
du "roi des pirates" à Madagascar (voir par exemple The King Of
Pirates : Being An Account Of The Famous Enterprises Of Cap. Avery, The Mock
King Of Madagascar. DEFOE Daniel, Londres 1719). En fait, Avery vécut
misérablement à Madagascar avant de pouvoir rejoindre l'Angleterre où il mourut
en mendiant, alors que toute l'Europe le croyait richissime en son royaume
tropical.
2 : De Libertalia, nous n'avons que le récit de Johnson qui
prétend posséder le journal de bord de Misson. H. Deschamps, in Les pirates
à Madagascar aux XVIIe et XVIIIe siècles, Paris, 1949, semble tout à fait
croire cette histoire étonnante de ce gentilhomme provençal ayant fondé une
république pirate "socialiste", mais des historiens et des critiques
littéraires, depuis quelques années, mettent en doute l'existence de cette
république (voir la thèse de doctorat d'état de Anne Molet-Sauvaget intitulée Madagascar
dans l'oeuvre de D. Defoe : étude de la contribution de cet auteur à l'histoire
de cette île.)
3 : Jusqu'alors, la France, comme l'Angleterre, voyait dans
les pirates un moyen assez efficace de limiter la puissance espagnole.
4 : Mémorial de la Réunion, p.309.
5 : On retrouvera tous les noms de ces "grands
capitaines pirates" et leurs aventures dans l'ouvrage de référence pour ce
qui concerne l'histoire de la piraterie : Histoire des plus fameux pyrates,
tomes I et II de Johnson/Defoë aux éditions Phébus. L'ouvrage ne traite que des
pirates anglo-saxons à l'exception des capitaines Misson et La Bouche (La
Buse).
6 : L'épave de son navire le Speaker a été retrouvée par Patrick Lizé en 1981 à l'île Maurice.
7 : Voir l'édition d'Anne Molet-Sauvaget Madagascar ou le
journal de Robert Drury chez l'Harmattan. Encore une fois, le document
historique semble bien altéré par la fiction romanesque.
8 : En 1716, il faudra même une ordonnance pour fixer le
taux de change des diverses monnaies employées : pagodes et sequins arabes,
sequins de Venise, Louis d'or, Guinées d'Angleterre, pistoles d'Espagne,
croisades du Portugal...
9 : Il s'agit des pirates s'étant définitivement installés
dans l'île et non de ceux, beaucoup plus nombreux qui n'ont fait qu'un séjour
temporaire.
10 : Pour reprendre la formule de Gérard A. Jaeger in Pirates,
flibustiers et corsaires, éd. Aubanel, 1987
Voilà, comme ça je l'ai quelque part.
Comme je suis le seul à passer ici à t’en croire, je suppose que le message d’appel à l’aide m’est destiné. Alors https://web.archive.org/web/20010309132202/http://www.guetali.fr/home/appollod/piraterie.htm
RépondreSupprimerCertains liens de la page fonctionnent (sont enregistrés), d’autres non ce qui veut dire qu’il faudrait relancer une recherche sur leur URL.