André Pangrani était mon grand grand dalon. Il est mort
dimanche 31 juillet 2016 à l’autre bout du monde, à Moscou, dans l’appartement
de la femme qu’il aimait. C’est une fin romanesque pour un personnage
romanesque.
Moscou, c’est bien. Il avait toujours aimé les villes, lui,
le gamin de la tour Mazagran à Saint-Denis. Il s’était installé à Paris pendant
une dizaine d’années, et il avait passé des heures à marcher dans la ville, à
observer la vie, les gens, le décor urbain. Il aimait également Bruxelles, Lisbonne,
Kinshasa où il était venu me voir, l‘Italie, le Brésil – il avait appris le
portugais pour l’occasion. Moscou donc.
Une fois, un ancien rédacteur en chef d’un quotidien de la
Réunion l’avait traité de Corse (ce qui était à moitié vrai, son papa était
effectivement corse, sa maman créole). Ca l’énervait cette obsession de
l’identité. A Paris, on lui parlait arabe dans le métro et il ne s’en sortait
qu’en jurant un bon coup en créole, et quand une administration réunionnaise
s’obstinait à mettre un y à la fin de son nom, ça lui plaisait bien
qu’ « on malbarise son nom » d’office.
Il aimait lire, Boris Vian dans sa jeunesse, J. G. Ballard,
Don de Lillo par-dessus tout, mais surtout il aimait ce que faisaient ses amis,
les bd de Serge Huo-Chao-Si, celles de Li-An, les romans de Pierre-Louis
Rivière, le théâtre d’Emmanuel Genvrin, Ti-Burce de Téhem… C’est pour ça qu’il
avait été rédacteur en chef du Margouillat, éditeur de bande dessinée,
président de Vollard, créateur du festival Cyclone BD, fondateur de la revue
littéraire Kanyar : il voulait faire partager ses enthousiasmes, et il
avait le culot que les autres n’ont pas, celui de se dire qu’on pouvait le
faire, d’y croire, envers et contre tous.
Je me rappelle de ça, c’était en 1987, je venais d’avoir le
bac et lui revenait d’une année de soi-disant études de cinéma à Paris. On
était dans la bagnole, à côté du Saint-Hubert, il avait mis une k7 des
Béruriers Noirs, et nous discutions à bâtons rompus, de cinéma (il vénérait
Godard et la Nouvelle Vague), de musique (il écoutait tout, parfois n’importe
quoi mais il s’en foutait), de littérature, de bd bien sûr (Moebius, Serge
Clerc, Pratt, Goossens), de politique, de cul, de bouffe, de blagues créoles,
des conneries qu’il avait faites à Paris, et pendant 30 ans, nous n’avons
jamais arrêté cette discussion.
Il aimait la bd bien sûr, mais surtout il aimait les bd de
ses copains, même quand objectivement elles étaient ratées, parce qu’il était
d’une fidélité amicale absolue, le Margouillat, que Boby Antoir avait fondé et
qui nous avait tous regroupés, c’était notre gang, nout bann, et les morts
successives de Mad, Séné, Mozesli, Anselme l’avaient foutu en l’air. Le
lendemain de l’attentat contre Charlie, RFO Paris l’avait invité à parler sur
son antenne, et on pouvait entendre les sanglots dans sa voix parce que c’était
le même esprit qui avait animé le Margouillat et que Cabu, Wolinski avaient été
nos modèles, nos parents symboliques.
André avait toujours écrit, d’abord des scénarios pour son
copain Gontran Hoarau au début du Margouillat, puis des articles, des
éditoriaux, très tôt un feuilleton littéraire, « Le major contre les
canotiers blancs », et puis aussi un blog sensible, « Edible
Poisons », et enfin dans Kanyar, de très touchantes nouvelles autobiographiques
(ce que je préférais par-dessus tout), et des textes en créole, et des
« nanofictions ». Il faudra regrouper tout ça, parce que ça ressemble
bien à quelque chose comme une œuvre littéraire.
Je me souviens aussi de ça, on est sur une aire d’autoroute,
quelque part en direction d’Angoulême. On a loué une voiture, on s’est entassé
dedans, les auteurs de bd de la Réunion. On a roulé la nuit, c’est l’hiver et
on fait une pause, pour fumer une clope, se réchauffer avec un café. Cette
parenthèse dans l’hiver de zoreillie, ces clopes qu’on fume dans la nuit au
bord d’une autoroute, c’est notre jeunesse et notre amitié.
Tout à l’heure, en finissant mon texte hommage, je me suis
dit, tiens, je vais l’envoyer à André pour qu’il me dise ce qu’il en pense,
comme je fais toujours quand j’écris un truc. Evidemment, c’est idiot,
puisqu’André Pangrani, mon grand grand dalon est mort dimanche 31 juillet 2016
à l’autre bout du monde, à Moscou, dans l’appartement de la femme qu’il aimait.
Ouinnn, renifle, pleure...
RépondreSupprimerCa va être nul sans lui. Bouh.
RépondreSupprimerSalut Olivier,
RépondreSupprimerBien triste nouvelle...
Amitiés
Laurent